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Colloque 2015 : Critiquer la science aujourd’hui : pourquoi, comment?

 
 
 
25 – Critiquer la science aujourd’hui : pourquoi, comment?

Responsable(s)

Florence Piron, Université Laval

Comité scientifique : Marie-Claude Bernard (Université Laval), Samir Hachani (Université d’Alger 2), Jean-Claude Simard (UQAR) et Émilie Tremblay (UQAM)

Toutes les conférences ont été filmées en direct par webcam et sont accessibles ici. Des publications sont prévues.

Couverture médiatique du colloque:

 

Description

La science n’est pas qu’un ensemble de textes proposant des connaissances qui visent à comprendre le monde et à le modifier par des interventions. C’est aussi un label souvent utilisé comme une certification de qualité – d’objectivité et de vérité – applicable à certains savoirs et non à d’autres. En effet, selon le cadre normatif dominant de la science actuelle, tout travail qui aspire à la qualité de « scientifique » doit être basé sur des données probantes, sur l’évaluation par les pairs dans des revues reconnues ou avec un facteur d’impact élevé, reposer sur une revue exhaustive des contributions scientifiques sur le domaine et une méthodologie reconnue et éprouvée. C’est à partir de ce cadre normatif que sont qualifiés de « charlatans » ou d’esprits irrationnels les savoirs qui contestent la fiabilité des vaccins, le changement climatique, le progrès apporté par les OGM, etc. Alors que certains milieux politiques semblent mépriser ouvertement les connaissances scientifiques lorsque vient le temps des décisions, l’expression « la science montre que… » est souvent utilisée pour disqualifier des propositions concurrentes ou pour justifier tel ou tel choix politique. Pourtant, il n’est jamais possible de parvenir à un résultat définitif ou éternel en science : une connaissance scientifique est toujours un modèle, une manière de représenter le réel qui est propre à un moment historique et qui est vouée à se transformer. La critique et le doute font partie intégrante du processus du production des connaissances.

Dans ce contexte, la critique de science apparait comme un exercice délicat. Est-ce pour cette raison que le cadre normatif dominant de la science semble la réserver aux pairs, aux collègues du domaine? Quelle est la place de la critique externe, qu’elle vienne d’autres disciplines, de l’État, de l’industrie ou de la société civile, dans le travail scientifique? Cette critique pose parfois des questions cruciales aux scientifiques, à leurs institutions et au cadre normatif dominant de la science. Ce sont ces questions que nous souhaitons explorer dans ce colloque. Par exemple, comment dénoncer l’influence des conflits d’intérêts sur une partie de la recherche biomédicale sans pour autant nuire à la crédibilité de ce domaine de recherche? Comment communiquer la science en laissant au public la possibilité légitime de douter et de questionner les savoirs présentés? Comment stimuler la confiance dans l’institution scientifique sans exiger du public une admiration béate ? Les scientifiques peuvent-ils et savent-ils accepter la critique externe sans crainte de perdre leur autorité, leur pouvoir de véridiction, comme dirait Michel Foucault? La critique de l’ordre normatif dominant de la science, par exemple dans les études post-coloniales ou féministes ou – de manière plus tacite – dans le mouvement de la science ouverte, est-elle « anti-science » ou évoque-t-elle plutôt le désir d’une évolution de ce cadre normatif?

 

Lundi 25 Mai 2015

 

Horaire : 8 h 15 – 12 h 30

Présidence/animation : Florence Piron Université Laval

 
8:45
Mot de bienvenue
 

THÈME : CRITIQUES ET CONTROVERSES

 
9:00

Controverses scientifiques et ambivalence de la science

Pascal RAGOUET Université de Bordeaux

La science se présente sous un double aspect, celui d’un univers de raison dominée par la volonté de savoir et celui d’une arène où règne la volonté de puissance. Cette représentation clivée traverse notamment le travail de Pierre Bourdieu qui, dans Science de la science (2001), montre à la fois comment le champ scientifique est un espace d’affrontement et comment le droit de participer au jeu concurrentiel suppose l’adhésion des savants à un ensemble de principes et croyances qui sont des déclinaisons de la « norme du vrai » (Berthelot, 2008). Ce sont ces principes, intériorisés par les savants, institutionnalisés dans le système du peer review, qui permettent à la science d’être dotée d’une autonomie relative. Cette analyse de la science ne fait certes pas l’unanimité. H. Collins, T. Pinch (1993) ou encore B. Latour défendent l’idée d’une prévalence des facteurs sociaux dans la clôture des débats scientifiques, facteurs dont la plupart sont liés aux savants eux-mêmes – leur réputation, leur capacité à enrôler les alliés, leur trajectoire, leur nationalité, leur ancrage institutionnel. Si Pasteur a pu triompher de Pouchet, ce n’est pas grâce à ses talents d’expérimentateur, mais c’est parce qu’il est en position de force sociale : il bénéficie de l’appui de Napoléon III et des commissions nommées par l’Académie (Farley, Geison, 1974 ; Latour, 1989).
L’analyse sociologique des controverses a été l’objet de prédilection des relativistes, parce qu’elle permettait de révéler certains aspects de la science, d’attirer l’attention sur « les forces que dissimule le fonctionnement ordinairement euphémisé de la science », de voir la bienséance académique céder la place au « bruit et (à) la fureur » (Berthelot, 2008). Quoi de plus efficace alors qu’une plongée dans les arcanes d’une controverse pour dévoiler la nature éminemment sociale de la science, pour la désacraliser et souligner le simplisme des credo rationalistes !
L’enjeu de cette communication est de montrer que l’analyse sociologique des controverses scientifiques révèle en fait la nature clivée et ambivalente de la science, non pas simplement un monde où règne la volonté de puissance, mais aussi un univers de raison dominée par la volonté de savoir. La science n’est finalement qu’un microcosme social livré aux concupiscences augustiniennes, d’un côté la libido sciendi, de l’autre la libido dominandi.
A partir du cas d’espèce que constitue la controverse sur la « mémoire de l’eau » (connue aussi sous le nom d’affaire Benveniste), il s’agira de donner à voir ce double aspect de la science. D’abord en montrant comment l’étude de ce type d’épisode historique révèle l’existence d’un ethos de la science qui permet la sublimation de la libido dominandi en une libido sciendi. Ensuite en montrant que, dans les conjonctures de controverses au cours desquelles les débats essaiment souvent vers l’arène médiatique, les savants, contraint de se positionner au sein de plusieurs espaces de communication, jouent avec les normes de l’ethos, révélant ainsi qu’elles n’ont pas toutes le même pouvoir de régulation et de contrainte.

Références citées
Berthelot J-M., L’emprise du vrai. Connaissance scientifique et modernité, Paris, PUF, (Sociologie d’aujourd’hui), 2008.
Bourdieu P., Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’Agir (Cours et travaux), 2001.
Collins H., Pinch T., The Golem, Cambridge, Cambridge University Press, 1993. [Trad.fr. : Tout ce que vous devriez savoir sur la science, Paris, Seuil, 1994].
Farley J., Geison G.L., « Science, Politics, and Spontaneous Generation in 19ht Century France : The Pasteur-Pouchet Debate », Bulletin of The History of Medicine, vol.48, 1974, pp.161-198.
Latour B., « Pasteur et Pouchet, hétérogenèse de l’histoire des sciences » in Serres M. (Ed.), Éléments d’histoire des sciences, Paris, Bordas, 1989, pp.423-456.

9:30

Trajectoires historiques et cultures politiques de la critique sociale des sciences : l’exemple de la région grenobloise (France, 1960-2014)

Thomas LEROSIER Université Pierre-Mendès-France Grenoble 2

En 2006, lors de l’inauguration de son campus dédié aux micro et nanotechnologies, la ville de Grenoble accueillait la première manifestation au monde contre les nanotechnologies. Pôle scientifique de renom, Grenoble abrite également un mouvement historique de contestation des modes contemporains de production des sciences. Une étude centrée sur le territoire grenoblois révèle que, contrairement à ce que laissent supposer les analyses de controverses sociotechniques, les militants naviguent d’une contestation à l’autre. Ils sont tour à tour anti-OGM, antinucléaires, engagés contre un projet industriel préjudiciable à l’environnement, etc. Ils établissent ainsi des ponts entre les différentes problématiques technoscientifiques. La perspective historique permet quant à elle de faire émerger des trajectoires contestataires. Elles sont caractérisées par des répertoires d’action et de prise de parole, des modes d’organisation, un rapport aux médias ainsi qu’un langage politique. La cristallisation de ces éléments détermine les cultures politiques à l’intérieur desquelles la critique sociale des sciences s’enracine. Cette analyse a au moins deux conséquences immédiates. D’une part, elle permet de contextualiser les questions politiques des différents mouvements de critique. D’autre part, elle met en lumière les réactions des instances politiques et scientifiques vis-à-vis de cette critique (et leur variation historique – gestion policière, communication, dispositifs participatifs).

10:00

Quelle place pour la critique sociale, scientifique et technique dans la gestion des déchets nucléaires ?

Céline PAROTTE Centre de Recherches SPIRAL, Université de Liège

Avec la multiplication des controverses scientifiques et sous la pression des revendications des mouvements pacifistes et environnementalistes, nous assistons à la naissance d’un flux d’incertitude et de critique politico-sociale, dirigée principalement vers le monde scientifique, sa production et ses hésitations. Bien que les liens entre les idéologies du progrès et de la technologie restent puissants et non remis en question, on assiste également à une critique sociale des conséquences des choix technologiques pour la société.

Cette contribution s’attarde sur le cas de la gouvernance socio-technique des déchets hautement radioactifs depuis le « tournant participatif » des années 90 en France et en Belgique. Il s’agit de poser un regard critique sur l’apparition d’un nouveau mode de gouvernance plus participatif et ses conséquences. Ce tournant redéfinit-il les positionnements du monde scientifique et ses relations aux processus décisionnels ? Comment reçoit-il les critiques qui lui sont adressées depuis l’extérieur?

Cette contribution s’intéresse aux formes institutionnalisées de la participation publique et propose de dépasser la dichotomie entre analyse experte et participation publique pour envisager les critiques de la gestion des déchets nucléaires à travers la frontière science et société.

10:30 : Pause
 
11:00

Le climatoscepticisme : quels vecteurs, quelles influences et quelle légitimité – une comparaison des sphères anglophones et francophones. 

Sebastian WEISSENBERGER UQAM – Université du Québec à Montréal

Peu de sujets ont fait l’objet d’une controverse médiatique aussi intense que les changements climatiques, contrastant avec un consensus scientifique quasi-universel. Or le climatoscepticisme, ou négationnisme climatique, ne s’exprime pas de la même manière dans les sphères anglophone et francophone. Dans la première, il est l’œuvre d’une campagne scientifico-médiatique planifiée et entretenue par des intérêts privés et politiques. Dans la seconde, il implique des chercheurs individuels faisant valoir des opinions divergentes du consensus scientifique. Le contraste de ces deux mouvements permet de mettre en évidence différents types de critiques du discours scientifique dominant. Dans la sphère anglophone, la critique vise principalement à influencer l’action politique; elle ne s’adresse donc pas en premier lieu aux pairs scientifiques, mais plutôt au public et aux décideurs et ne recherche ainsi qu’accessoirement une légitimité à travers les mécanismes habituels de la science. Dans la sphère francophone, une partie du débat se déroule dans les instances scientifiques, comme l’Académie des sciences, permettant une véritable confrontation des théories et des preuves et une représentation juste de l’état du débat tandis que la « chambre d’écho » en Amérique du Nord conforte des opinions préconstruites et mène à une polarisation politique du débat.

11:30

Autour de l’enquête «Les marchands de doute» de Naomi Oreskes et Erik Conway (2012)

Jean Bernatchez UQAR – Université du Québec à Rimouski

Le livre «Les marchands de doute» (2012) de Naomi Oreskes, professeure d’histoire des sciences à l’Université Harvard, et Erik Conway, historien des sciences au California Institute of Technology, met en lumière les stratégies de lobbys industriels qui nient les preuves scientifiques afin de protéger leurs intérêts commerciaux et éviter ainsi toute législation contraignante. Ils ont œuvré entre autres pour semer le doute quant aux faits avérés liés aux dangers du tabac, à l’impact des pluies acides et aux conséquences du réchauffement climatique. Ces lobbys associent à leur action des chercheurs de réputation qui, pour des raisons idéologiques ou financières, contribuent eux aussi à semer le doute chez une population qui ne demandent bien souvent qu’à être rassurée plutôt qu’informée.

La communication rendra compte du contenu de l’ouvrage, proposera une critique interne (cohérence et logique, rigueur de l’argumentation, forme et style) et une critique externe (contextes social, politique, idéologique et scientifique) du livre et précisera comment il a été reçu dans la communauté scientifique et dans l’opinion publique.

12:00

Vidéo-débat : Conciler éthique en santé des populations et instantanéité médiatique

Florence Piron Université Laval

Projection d’une vidéo éducative, réalisée par l’Axe éthique et intégrité en santé des populations du RRSPQ (Réseau de recherche en santé des populations du Québec), sur le rôle des médias dans les débats publics sur la science. Discussion.

12:30 : Dîner

 

THÈME : CRITIQUER LE CADRE NORMATIF DE LA SCIENCE

Horaire : 14 h 00 – 17 h 30

Présidence/animation : Céline Parotte Centre de Recherches SPIRAL, Université de Liège

 
14:00

Critiquer la normalité institutionnelle pour répondre aux maux de nos réalités sociétales

Yannick Brun-Picard Collège la Peyroua

Démontrer que les productions dites scientifiques se sont fourvoyées s’avère extrêmement hasardeux. En revanche, mettre en évidence, par touche successive, des errances, des croyances et des clientélismes se révèle réalisable, tout en critiquant vertement les dissimulations et les ignorances des réalités. Comment produire des critiques parfois cinglantes des normalités scientifiques institutionnelles en sciences humaines et sociales sans se faire moquer, étriller, tancer et ostraciser par les tenants de la normalité, les pairs et autres spécialistes ? Des options partielles sont possibles pour que la critique soit acceptée. Elles sont fondées et exposées à partir de notre expérience et rendues explicite en fonction d’une mise en application de la praxéologie. Ces bases méthodologiques ancrées, nous nous attachons à l’obligation non écrite de s’inscrire et d’accompagner une mouvance pour émerger sans blesser les pairs. Puis, les inerties, les appartenances, les réseaux sont disséqués afin de percevoir l’aveuglante opacité d’organismes prétendument ouverts. L’emploi des blogs, des publications en ligne et autres comme vecteurs de critique doit composer avec les inerties et les travers sociétaux qui sont autant de freins à toute solution autre que celle des dominants. Il reste à louvoyer aux marges, en critiquant avec diverses intensités et densités pour parvenir à publier et ainsi proposer des critiques concrètes en mesure d’être écoutées et entendues par les destinataires.

14:30

Jouer cartes sur table : pourquoi et comment proposer une approche critique de la fabrique cartographique institutionnelle et scientifique ?

Matthieu NOUCHER Centre national de la recherche scientifique

Les innovations technologiques et sociales réalisées depuis la Renaissance (relevés topographiques, instruments de mesure…), renforcées ces dernières années par l’introduction des techniques géomatiques (imagerie satellite, GPS…), conduisent à considérer la cartographie comme une discipline scientifique en progression constante. Elle ne serait alors que le produit d’une géographie formelle, une objectivation de l’espace. Cette vision de la cartographie est bien entendu très caricaturale et les postulats positivistes de la carte comme représentation neutre et toujours précise du territoire ont été largement remis en cause depuis la fin des années 70. En prenant de la distance à l’égard des approches fonctionnalistes et en privilégiant leur portée cognitive, les sciences sociales ont permis de repenser les cartes comme des formes de savoir socialement construit, subjectif et idéologique. Cette « rupture épistémologique » au sein de la discipline cartographique a été portée par les tenants de la « cartographie critique » qui peinent, à l’ère du web et du big data, à se faire entendre. Nous décrirons deux exemples de projets de recherche qui s’intéressent à l’analyse critique de la cartographie de l’environnement (le premier se focalisant sur les productions scientifiques et le second sur les productions des autorités publiques) d’illustrer les positionnements parfois délicats des chercheurs qui s’inscrivent dans des postures critiques vis-à-vis du cadre normatif dominant la discipline.

15:00

La critique de l’occidentalocentrisme/eurocentrisme du cadre normatif dominant de la science : débats et enjeux au sein de la discipline sociologique

Émilie Tremblay UQAM – Université du Québec à Montréal

La critique de l’occidentalocentrisme ou de l’eurocentrisme du cadre normatif dominant de la science est portée par différents acteurs, courants et mouvements tels que les post-colonial studies (Saïd, 1978; Bhabha, 1994; Chakrabarty, 2000; Mudimbe, 1994; Mbembe, 2000), les critiques de l’eurocentrisme (Bhambra, 2011; Gunder Frank, 1998; Blaut, 1993; Amin, 1988; Wallerstein, 1997), les critiques de l’impérialisme et de la dépendance académique (Alatas, 2006; Gareau, 1988), la critique décoloniale (Grosfoguel, 2010; Mignolo, 2000), les penseurs de la justice cognitive (Santos, 2011; Visvanathan, 2006), etc. En sociologie, les débats autour de l’internationalisation et de l’indigénisation de la discipline s’inscrivent dans cette critique (Rodriguez, Boatcâ et Costa, 2010; Keim, 2010; Alatas, 2006; Oommen, 1991; Akiwowo, 1988). En effet, plusieurs acteurs appellent à la décolonisation et à la désoccidentalisation de la sociologie, et au développement de traditions nationales autonomes voyant l’internationalisation comme une nouvelle forme d’impérialisme renforçant notamment les rapports de domination et d’exclusion dans le processus de production et de diffusion des connaissances. Comment cette critique adressée à la sociologie est-elle reçue dans différentes communautés sociologiques ? A-t-elle entrainé des transformations profondes dans l’enseignement et la recherche sociologique, ainsi que dans les institutions scientifiques ? Cette communication se penchera sur ces questions. 

15:30 : Pause

 
16:00

Dans quelle langue publier? Réflexion critique sur un des enjeux éthiques et politiques de la publication scientifique

Florence Piron Université Laval

Le choix de la langue de publication n’est pas anodin. Il exprime un système de valeur. Ainsi, pour des non-anglophones, publier en anglais, c’est privilégier le public de la science internationale à celui de leurs concitoyens ou des participants au projet de recherche dont il est question. Les chercheurs et chercheuses qui font ce choix en sont-ils conscients? Pourquoi l’option de la traduction est-elle en général très vite écartée? À travers cette interrogation sur le choix de publier en anglais (qui n’est que rarement questionné dans de nombreuses disciplines) apparait en filigrane la puissance du cadre normatif dominant de la science. Comment inscrire l’argument du « droit à la science dans sa langue » au sein de ce cadre normatif? C’est une question majeure si on veut faire de la science un bien commun nécessaire à l’empowerment, au développement du pouvoir d’agir, en particulier dans les pays francophone du Sud.

16:30

Est-il trop tard pour la science?

Jean-Luc DION Université du Québec à Trois-Rivières

« Le monde a commencé sans l’homme, et il s’achèvera sans lui… Il apparaît lui-même comme une machine, peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d’un ordre originel et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive. Depuis qu’il a commencé à respirer et à se nourrir jusqu’à l’invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu – et sauf quand il se reproduit lui-même – L’homme n’a rien fait d’autre qu’allègrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d’intégration… »

À partir de cette citation de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, nous tenterons de voir à quelles conditions l’Humanité pourrait arrêter cette évolution désastreuse, sinon l’inverser : un terrible défi. En effet, l’humain et tous les êtres vivants témoignent de l’extraordinaire capacité de la vie et de l’intelligence d’organiser la matière mais, en même temps, l’humain, par sa capacité de structurer et de modifier son milieu, est en train de le détruire. Il y a là un paradoxe fondamental qu’il est devenu absolument urgent de résoudre pour donner la moindre chance de survie à l’Humanité et à la vie sur Terre. Le salut pourrait-il être assuré sans une concertation sans précédent de toutes les intelligences de bonne volonté ?

17:00 : Discussion

Lancement des dernières productions de l’Association science et bien commun
 
17 h 30 – 18 h 00
 

18:00 : Souper

 

Mardi 26 Mai 2015

 

THÈME : FORMER À LA CRITIQUE DE SCIENCE : DE L’ÉCOLE À L’UNIVERSITÉ

Horaire : 8 h 30 – 10 h 00

Présidence/animation : Florence Piron Université Laval

 
8:30

Comprendre et critiquer la science : une approche pédagogique précoce

Roselyne ESCARRAS

Fondé en 2000, le Carrefour des sciences et technologies est un organisme régional d’éducation et de vulgarisation des sciences auprès des jeunes. Il cherche à leur faire aimer les sciences, de façon pratique, ludique, interactive, dans des ateliers donnés dans des lieux de science, par des scientifiques : étudiants, chercheurs, enseignants qui deviennent des modèles qu’ils ne trouvent pas ou peu dans leur milieu. Il veut faire comprendre aux jeunes que la science est bien plus qu’une « matière scolaire » et qu’elle n’est ni un dogme ni une affirmation gratuite.
Un des programmes offert aux jeunes s’appelle  « Je suis capable ». Il vise les élèves de 5ème et 6ème années du primaire de 11 villages d’une zone rurale dévitalisée. Un de ses objectifs est de faire comprendre très tôt à ces enfants ce que sont les sciences, comment elles se construisent, à quoi elles servent et de leur montrer comment les critiquer. Cette éducation précoce aux sciences, à la méthode scientifique, à l’esprit critique, leur permettra, quels que soient leurs choix de vie, d’acquérir des connaissances et des compétences pour comprendre, critiquer, agir et non subir le monde dans lequel ils vivent. Cette communication présentera les leçons tirées de cette approche précoce et pratique de l’éducation à la critique de science.

9:00

Quelques pistes pour construire une éducation citoyenne aux sciences

Philippe Etchecopar Cégep de Rimouski

Le groupe Initiative Science Citoyenne se préoccupe du droit des citoyens à participer aux décisions portant sur les enjeux et les politiques scientifiques.
La complexité croissante de la science est souvent invoquée pour que le débat sur ces enjeux se limite à « ceux qui savent », c’est à dire les élites politiques, économiques et scientifiques. Leurs choix, présentés avec toutes les ressources des techniques de communication, utilisent la science comme argument d’autorité.
La démocratie exige que les citoyens puissent se prononcer librement et en toute connaissance sur des enjeux qui les concernent quotidiennement. Ils doivent pouvoir porter une critique externe rationnelle sur la science et ses utilisations plutôt que de dériver vers un populisme scientifique inséparable du populisme politique.
La formation scientifique doit s’adapter au développement et à la complexité croissante de la science, intégrer ses dimensions sociales et politiques, la considérer comme un bien commun. Cette formation doit considérer les enjeux scientifiques comme étant aussi des enjeux sociaux et les critiquer sous cet angle. Elle doit préparer les scientifiques à rendre ces enjeux accessibles aux citoyens pour leur permettre une critique rationnelle.
Cette présentation proposera quelques pistes pour une éducation citoyenne des sciences permettant d’atteindre ces objectifs. Ces pistes seront proposées à partir d’une expérience d’enseignement citoyen des mathématiques réalisée au niveau collégial.

9:30

La précarité des bibliothèques universitaires au Sénégal, pourtant essentielles à la science et à sa critique

Djibril DIALLO Université Alioune Diop de Bambey

Le monde universitaire actuel est marqué par une forte polarité d’accès à l’information scientifique et technique. Au Sénégal, les bibliothèques universitaires s’inscrivent dans un contexte politique, social et économique souvent difficile. Elles font face à l’augmentation très importante du nombre d’étudiants, alors que les superficies des locaux restent les mêmes, et à l’absence de politique d’acquisition cohérente dans un contexte de précarité. Le développement de la recherche universitaire se heurte aux lacunes de la documentation.

Cette contribution a pour objet  la place des bibliothèques universitaires dans la société de l’information, du point de vue des pays du Sud. Elle veut rappeler que le partage et le renforcement du savoir mondial pour le développement peuvent s’améliorer si l’on supprime les obstacles de l’accès équitable à l’information scientifique et technique dans les bibliothèques universitaires. Il conviendra donc d’identifier, de localiser les difficultés liées en terme d’environnement institutionnel, de constitution des fonds documentaires, de budget, de formation, d’accès aux ressources en ligne et d’information de certaines bibliothèques universitaires. Notre objectif vise à promouvoir et à mettre en œuvre des projets et programmes de coopération universitaire au développement en vue de renforcer les institutions universitaires des pays en développement en tant qu’acteurs du développement de leur pays et de leur région.

10:00 : Pause

 

THÈME : APRÈS LA CRITIQUE : TRANSFORMATION DES CADRES NORMATIFS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Communications orales

Horaire : 10 h 30 – 12 h 00

Présidence/animation : Émilie Tremblay

 
10:30

Analyses croisées de cadres normatifs de la recherche scientifique. Entre Éthique de la recherche et Études sur les sciences : échos et tensions dans l’identification des responsabilités 

Nathalie VOARINO, Adeline Néron et Bryn William-Jones, UdeM

La réflexion qui motive cette proposition fait partie d’un projet s’intéressant aux ontologies, justifications et répartitions des responsabilités construisant ce que serait une « bonne science ». La lecture comparative des diagnostics et mises en perspectives issus d’études sur les sciences (Science studies) et d’études en éthique de la recherche révèle des complémentarités qu’il semble déterminant de souligner. Les analyses faites par l’éthique de la recherche se concentrent le plus souvent sur la recherche avec des participants (participant-oriented), laissant de côté de nombreux domaines scientifiques et aspects d’ordre éthique, notamment spécifiques aux chercheurs. Or, les directives, principes généraux et validations des protocoles de recherche sont à questionner en termes d’efficacité dans le quotidien comme dans l’ensemble des dynamiques de recherche, n’assurant pas la scientificité ou une éthicité sur le terrain. Les évaluations des conduites et des responsabilités des chercheurs impliquent une distinction entre ce qui relève des institutions scientifiques et politiques et ce qui relève des chercheurs individuellement, au-delà de la gestion de la fraude ou de la faute. Dès lors, une meilleure connaissance et une meilleure intégration des contextes sociaux, économiques et politiques avec les intersubjectivités des chercheurs semble pertinente pour une plus nette et large avancée des conduites responsables en recherche.

11:00

Intégration institutionnelle de la critique : quel rôle des sciences humaines et sociales?

Elise TANCOIGNE, INRA Sally Randles, University of Manchester, Pierre-Benoit Joly, INRA

Cette contribution se propose d’explorer la façon dont la critique du cadre de gouvernance de la recherche et de l’innovation a été intégrée par la Commission Européenne et donne aujourd’hui lieu à la mise en place d’un nouveau cadre normatif de gouvernance, celui de Recherche et d’Innovation Responsables (RRI). Nous présenterons la genèse de cette initiative, ses acteurs, ses spécificités et son cadrage en prenant appui sur un double corpus de textes : d’une part, un corpus large réunissant divers travaux autour de la question de la responsabilité de la recherche et de l’innovation, et d’autre part, un corpus restreint se concentrant sur cette approche européenne. Nous montrerons le rôle prépondérant joué par les sciences humaines et sociales dans la construction de ce nouveau cadre normatif : outre un enracinement intellectuel, elles sont pourvoyeuses d’acteurs circulant entre arènes académiques et arènes politiques, ainsi que de forces vives qui, à travers des projets de recherche comme celui dans lequel s’insère cette étude, le FP7 ResAgorA, permettent à la Commission de se doter des outils nécessaires à la mise en place de ce nouveau cadre. Questionner la construction, la légitimité et la validité de cette initiative revient donc à acquérir un regard réflexif sur le rôle joué par les sciences humaines dans cette entreprise.

11:30

La science ouverte comme cadre normatif alternatif?

Les auteurs sont membres du Collectif SOHA : Fall Assane, Thomas Hervé Mboa Nkoudou, Erika Daly, Dorce Ricarson, Jeruscha Vasti Michel, Yves Yanick Minla Etoua et Iléus Papillon. Pour en savoir plus sur le projet SOHA : http://projetsoha.org
 

Quelle science reconstruire après la critique? Cette communication propose l’idéal de la science ouverte comme outil d’empowerment, notamment dans les pays du sud, où elle peut être mise au service du bien commun. La « science ouverte » est un ensemble de normes, de pratiques et d’outils de recherche aussi variés que le libre accès aux publications scientifiques (par le biais des revues ou des dépôts institutionnels), la recherche-action participative et la démocratie scientifique, ainsi que la création de lieux alternatifs de recherche (tels que les laboratoires ouverts, les laboratoires vivants et les boutiques de sciences), l’ouverture et le partage des données de recherche et bibliographiques, l’écriture scientifique collaborative, le recours au web 2.0 et aux réseaux sociaux pour diffuser et valoriser les recherches, la contribution aux ressources éducatives libres (MOOC et autres), l’intérêt pour les savoirs locaux, les sciences citoyennes et participatives, la critique des pratiques conventionnelles d’évaluation par les pairs et la priorité accordée aux logiciels libres. Malgré leur hétérogénéité, ces outils et pratiques dessinent un cadre normatif alternatif qui repose sur la critique de la science conventionnelle, notamment ses pratiques de publication ou ses rapports limités avec le reste de la société, ou en rejette le cadre normatif dominant, axé sur l’expertise exclusive des chercheurs et chercheuses professionnels et l’économie marchande du savoir. Qu’elle soit orientée vers l’idéal du libre partage des connaissances, de la justice cognitive ou du rapprochement entre la science et la société, la science ouverte semble proposer de voir la science comme un des « biens communs » contemporains et non comme la propriété des chercheurs et chercheuses ou de ceux qui les financent (État ou industrie).

12:00 : Mot de clôture